Les 100 réformes qui ont durci la condition des immigrés en France
Maxime Vaudano et Agathe Dahyot
pour les autres les premières lignes :
Décryptages
Le gouvernement a présenté mercredi de nouvelles mesures pour réviser les règles de l’asile. « Le Monde » se penche sur la centaine de réformes sur l’immigration depuis 1945.
Revoici l’immigration ! A peine un an après l’adoption mouvementée de la loi Collomb, Edouard Philippe a présenté mercredi 6 novembre une nouvelle batterie de mesures pour réviser les règles de l’asile, de la naturalisation et de la protection maladie des immigrés. De nouvelles pierres devraient donc prochainement compléter l’édifice du droit de l’immigration – un empilement législatif vertigineux remanié sans cesse depuis les textes fondateurs signés par le général de Gaulle au sortir de la guerre.
Un chiffre suffit à prendre la mesure de cette hyperactivité législative : depuis 1945, la France a voté une loi sur l’immigration tous les deux ans en moyenne. De droite comme de gauche, tous les ministres de l’intérieur ont voulu laisser leur empreinte avant de quitter la Place Beauvau – sans compter les ordonnances, arrêtés, circulaires et décrets qu’ils ont multipliés.
Pour quel résultat ? Aucun de ces textes n’est parvenu à éteindre le débat brûlant sur l’immigration né au cœur des années 1970. Même l’accélération des réformes depuis les années 1980 a été impuissante à contenir la poussée de l’extrême droite, qui s’appuie depuis cette époque sur l’équation fallacieuse inventée par Jean-Marie Le Pen : « 1 million d’immigrés = 1 million de chômeurs. »
L’amoncellement des lois n’a eu guère plus d’effets sur la réalité de l’immigration. Qui aurait pu prévoir que les demandes d’asile monteraient en flèche dans les années 2010, alors même que les règles avaient été durcies ? La crise des réfugiés a bien montré que les flux migratoires dépendent bien plus de circonstances extérieures que des décrets. Difficile d’imaginer, comme certains, que les candidats à l’immigration choisissent la France à l’issue d’un « benchmarking » minutieux des législations européennes à la recherche des conditions les plus avantageuses.
Cette frénésie de changement n’est pourtant pas anodine. Laissons de côté le temps passé au Parlement et dans les ministères pour ajuster sans cesse les curseurs, tantôt minuscules, tantôt fondamentaux, de la politique migratoire. Tous les acteurs confrontés à ces questions sur le terrain (magistrats, avocats ou associatifs) peinent à suivre le rythme effréné des réformes, qui se contredisant souvent, et rendent chaque fois un peu plus complexe le droit des étrangers. Même les politiques spécialistes des propositions migratoires se retrouvent pris en défaut pour des erreurs ou des approximations sur ce sujet qu’ils manient quotidiennement.
Qu’on songe par exemple aux conditions de délivrance de la carte de résident de longue durée, qui ont changé huit fois depuis 1984, réclamant aux étrangers cinq, dix ou quinze ans de résidence en France. Ou aux critères de régularisation des immigrés sans-papiers, qui ont été redéfinis près d’une quinzaine de fois depuis les années 1970 !
A la veille d’un énième aggiornamento des règles migratoires françaises, Les Décodeurs du Monde ont remonté soixante-quinze ans de Journal officiel, pour comprendre ce qu’avait modifié concrètement la centaine de réformes intervenues depuis 1945.
Ces incessantes révisions de la législation ont progressivement brouillé la répartition des rôles confortable entre une droite « ferme » et une gauche « humaniste ». Car si Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy restent probablement les champions des mesures anti-immigration, les socialistes ont entériné, voire devancé, de nombreux durcissements proposés par la droite.